Nous roulions depuis des heures, chahutés, ballottés, un peu ivres de poussière et de chaleur, dans un paysage monotone, une sorte de savane erratique, nous trouvant comme ces lendemains de fièvre, entre apathie lancinante et renaissance homéopathique… et puis, dans ce paysage plat à l'infini de nos journées, horizon sans arbres, sans lignes verticales, est apparue lointaine une silhouette solitaire qui, comme nous approchions, émergeait, droite et fière…. Arrivés à sa hauteur nous stoppions le vieux 4x4…. Je me souviens avant tout de son regard, même si ce n'est pas certain que ce soit la première chose que je vis. Elle ne portait qu'un pagne enroulé autour des hanches, sur sa tête une botte de fagots liés d'une ficelle, dans une stature et un équilibre implacable, et des seins jeunes et arrogants de beauté…. Mais surtout, il y avait son sourire, généreux, confiant, communicatif… Je sortais mon réflex sablonneux et prenais une image, elle n'avait pas besoin de poser, déjà reine et insolente, et puis nous redémarrions et reprenions la piste serpentant dans cette vaste plaine.
C'était il y a longtemps, je n'avais pas vingt ans, et j'ai depuis souvent entendu l'Afrique évoquée comme le paradis perdu, l'image d'un monde neuf, sain, lumineux, alors je revois toujours cette jeune femme radieuse…. Mais le paradis a été depuis bien longtemps souillé, les roches coagulées de sang, le sable lavé de larmes, le Boli a été volé, les cœurs si souvent déchirés…
Il y a quelques jours, cette image de terre originelle, ce qui est, nous venons tous de ce berceau, cette vision d'une nature pure, sensuelle m'est réapparue avec fugacité…. Pendant quelques secondes, les images se sont superposées, en un instant délicieux …
Je les accueilli dans la cour, homme charmant dont on devine que le vécu est plus ample que ce qu'il nous laisse en voir et elle, avec son haut bariolé et un survêt bouffant, drôle dans sa candeur, quand je suis plus habitué pour ces séances de dessins à deviner des artifices de dentelles, de bas et d'escarpins…. C'était le matin, nous n'avions pas l'habituel moment de présentation autour d'un verre, le café vu vite avalé, et elle avança dans l'atelier, ses longs pieds fins et nus, et dans un mouvement dont je ne retrouverais plus l'artifice, se retrouva soudain nue, là, entre nous, éblouis car je crois qu'il l'était encore, jamais lassé, simplement nue et magnifique, ondulante dans sa démarche, sa peau sombre reflétant avec magie la lumière de ce matin d'automne…
Mia10.jpg
Je venais de récupérer ce fauteuil en osier, elle sera la première à y poser son derrière....

JeanauParadis
Vous n’avez pas les permissions nécessaires pour voir les fichiers joints à ce message.